NTIC et souffrance au travail

J’ai trouvé ce rapport (auteurs inconnus), que je recopie ci-dessous, sur le site :
http://www.lasouffranceautravail.fr/tl_files/telechargement/Synthese_NTIC.pdf
Il donne une bonne synthèse des conséquences de l’usage des NTIC au travail et conclue par des propositions intéressantes.

Commission de réflexion sur la souffrance au travail
Atelier NTIC
Constats et propositions

CONSTATS

L’informatisation de la société est une révolution technologique récente qui fait suite à l’informatisation des entreprises et du travail entamée dans les années 1970.

Les conséquences de l’arrivée des TIC dans le monde du travail sont encore difficiles à évaluer de manière très concrète étant donné que ce processus n’est pas terminé. En 30 ans, on a vu apparaître le micro-ordinateur, les logiciels, Internet, les courriers électroniques, les réseaux et plateformes d’échanges… Autant d’avancées qui sont très certainement la source de changements plus importants de notre manière de travailler que ceux que nous avons connus avant l’ère technologique que nous vivons. En effet l’usage des TIC est susceptible de modifier le contenu du travail, les modes opératoires mais aussi et peut-être surtout les relations et les interactions de travail. Enfin, les TIC sont rarement introduits isolément et se combinent avec des changements organisationnels et de nouvelles caractéristiques de la main d’oeuvre liées par exemple à l’allongement de la scolarité : on assiste donc à l’apparition de nouvelles machines, de nouvelles organisations et de nouveaux travailleurs.

Les cycles d’évolution d’une version logiciel à une autre ou d’une organisation imposée par le système d’information à une autre sont très courts, nécessitant un apprentissage fréquemment renouvelé au poste de travail qu’ils soit de production ou administratif.

L’usage des TIC, par l’automatisation qu’elles apportent, accélère la diminution des relations humaines dans l’entreprise, ce qui est source de souffrances au travail.

1. L’impact sur les organisations : une réorganisation du travail qui a des avantages et des inconvénients
En préambule, il est important que de préciser que si l’impact des TIC pris isolément sur la productivité et la croissance reste modeste en France, leur combinaison avec les changements organisationnels a permis une forte amélioration de la productivité.

S’il n’existe pas de déterminisme technologique, l’informatique et les TIC sont susceptibles de changer profondément le travail sans pour autant que les salariés le perçoivent directement.

L’impact sur le temps des TIC se caractérise par une plus grande délégation du travail (impact plutôt positif) avec la possibilité pour les salariés de s’organiser, en travaillant même parfois depuis chez eux (télétravail).

Les TIC permettent donc une liberté d’action plus grande mais, lorsqu’il y a procédurisation cela peut devenir très dangereux (cf l’exemple des commandes vocales et des plateformes logistiques, travaux de Philippe Davezies).

A côté, les TIC entraînent un recalcul permanent des priorités ce qui réorganise le fonctionnement traditionnel du travail. Les cadres sont habitués et formés à ces pratiques,pas les autres salariés.

A noter que dans l’administration cela a provoqué des changements dans l’organisation verticale et horizontale du travail, plutôt positifs :
– pour ce qui est de la verticalité, les TIC ont permis d’opérer un raccourcissement de la chaîne hiérarchique avec des relations de travail plus directes grâce à l’email (sans court-circuitage de la hiérarchie avec la copie).
– pour ce qui est de l’horizontalité, il y a une plus grande transparence entre les acteurs : les savoirs et les informations se décloisonnent dans l’administration, le pouvoir reposant désormais moins sur la rétention des savoirs que sur l’accès à ces savoirs et leur maîtrise. Le rôle d’expertise dans l’administration s’est développé.

Les systèmes d’information concernent aujourd’hui le travail dans sa dimension spécialisée (SI métier) mais également dans sa dimension support (SI bureautique). Par conséquent, les TIC permettent donc un suivi en temps réel de l’activité qui peut avoir un avantage pour les managers. Mais cela est évidemment générateur de stress car souvent, chacun peut voir l’évolution des autres (ERP…). Cela provoque notamment une amputation de la liberté individuelle d’organisation (par exemple dans les centres d’appels, le conseiller ne choisit pas le temps d’attente entre deux appels et cela pose problème lorsqu’il vient de terminer un appel complexe et perturbant). La qualité ne peut se mesurer en temps réel donc les TIC pourraient détourner leur objectif de contrôle qualité pour basculer uniquement dans le contrôle au détriment de la qualité.

La chaîne industrielle voyait se relayer des objets sur une chaîne, contrairement aux TIC qui opèrent sur une chaîne intellectuelle. Imposer un schéma intellectuel nie l’intelligence de la personne à laquelle on ne fait plus appel.

Enfin, ces changements perpétuels sont aussi le signe d’une prédominance de la stratégie dans l’organisation du travail, tant au sein des entreprises que de l’administration. La stratégie impose une rapidité et une réaction toujours plus importante et ces changements ont largement été permis par les TIC. Le problème de la prédominance stratégie est qu’elle a donné une dimension essentiellement verticale à l’organisation du travail : du haut vers le bas. Les préoccupations et conséquences sur les salariés et agents chargés de l’appliquer sont généralement peu prises en compte.

2. L’impact sur le management : un manque de formation des managers à l’impact des TIC
Les TIC ont également provoqué une modification des systèmes hiérarchiques : les gens travaillent par communauté et par projet (phénomène de mass collaboration). Ce processusn’est d’ailleurs pas terminé puisque les manières de travailler et de fonctionner hiérarchiquement vont encore évoluer avec le risque de déstabilisation des collectifs de travail traditionnels et localisés qui étaient le support des entraides interindividuelles.

Enfin, la fracture numérique ne s’est pas substituée à la fracture sociale, elle est venue en parallèle. On constate aussi l’apparition d’une fracture générationnelle. Ce n’est pas l’outil numérique qui crée la souffrance, c’est l’organisation du travail qui est associée à l’usage de ces outils. La souffrance provient d’usages non appropriés ou non maîtrisés de la technologie et non pas de la technologie elle-même. On peut être compétent sur un temps T et ne plus l’être sur un outil ce qui génère un fort facteur de stress (exemple : lors du passage d’office 2003 à office 2007, beaucoup d’assistantes étaient perdues).

Le manque de maîtrise de la technologie est donc cause de souffrance, cette maîtrise n’étant pas uniquement l’apanage des plus diplômés, la souffrance existe aussi chez les cadres.

Les TIC ont également apporté une certaine procédurisation puisqu’avec le mail on écrit plus qu’on ne parle (une fois que les choses sont écrites, il y a moins de liberté d’agir). Cela doit être pris en compte dans le management, avec des cadres encouragés à échanger « normalement » avec leurs équipes, sans surabondance de mails. Bien évidemment on ne peut pas légiférer sur le contrôle des mails, il faut donc intervenir au cas par cas en maîtrisant le dosage entre l’oral et l’écrit, la proximité et la distance.

C’est d’autant plus important que les jeunes cadres ne managent pas que par le savoir, il faut les accompagner sur la relation humaine qu’ils pratiquent moins. Sinon l’usage des TIC peut conduire à une déshumanisation du travail.

3. L’impact sur la santé : des conséquences avant tout mentales
Il s’agit là de la conséquence des deux autres impacts : les TIC sont génératrices de stress à partir du moment où elles ne sont pas maîtrisées, d’un point de vue technique et d’un point de vue de l’usage de l’écrit en contexte professionnel.

La langue / les notices sont principalement rédigées en anglais. Les Québécois utilisent du français partout où le ils peuvent mais est-ce suffisant pour une meilleure assimilation des outils ?

A la différence de la précédente révolution technologique – l’industrialisation, qui a changé le travail en ce sens que la machine a pris le relais de la force humaine pour accomplir la production – l’informatisation prend le relais du cerveau. Parce que la souffrance au travail est désormais mentale plus que physique, le mal-être généré est donc bien supérieur.

Cela se constate à la fois dans les sphères publiques et privées avec la multiplication des nouvelles applications : on constate qu’il y a un saut à passer régulièrement selon les outils ou usages (SIRH, SI achats…), on doit s’investir en moyenne tous les 4 ans dans l’acquisition de nouvelles compétences. Au bout de 20 ans de vie professionnelle, cela peut devenir de plus en plus difficile en l’absence de formation continue adaptée.

4. L’impact vie privée / vie professionnelle
Les TIC doivent permettre un droit à la vie personnelle au travail : c’est possible pour les cadres, moins pour les techniciens. Il peut s’agir d’une charte que l’entreprise signe avec les représentants du personnel : charte réciproque, avec des engagements et devoirs des deux côtés.
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PISTES DE RÉFLEXION ET PROPOSITIONS
1. La formation
La formation initiale des individus aux TIC commence par l’école, notamment en primaire. Mais il faut également développer la formation dans le secondaire et à l’enseignement supérieur (tous les étudiants ne maîtrisent pas les TIC). Par ailleurs, l’usage des TIC vient multiplier les usages de l’écrit ce qui suppose sa maîtrise en termes de compétence générale (acquise scolairement) et professionnelle (acquise au cours de la vie professionnelle).

Pour la formation professionnelle au sein de l’entreprise et de la fonction publique, cela doit prendre la forme d’un vrai contrat d’accompagnement des salariés pour que ceux-ci ne subissent pas les TIC. Il est d’ailleurs nécessaire d’envisager des actions avec les syndicats afin de détecter ceux qui sont mal à l’aise pour régler les problèmes. Aujourd’hui, la formation TIC est trop concentrée dans le temps (école), il faut donc qu’elle soit effective tout au long de la vie étant donné que les TIC évoluent en permanence et qu’il faut à la fois apprendre et désapprendre.

Propositions :
– Encourager les salariés à utiliser leur DIF sur la formation au numérique, en
obligeant une entreprise à utiliser 15 à 20% des fonds sur les outils numériques pour toute les catégories et particulièrement les managers. Application métier. Cela suppose d’associer plans de formation et DIF avec une dimension numérique (usage/maîtrise)
– Si l’école fournit une formation générale concernant l’écrit, il faut également
développer l’apprentissage des écrits en contexte professionnel afin d’en faciliter la maîtrise. A l’occasion des stages en entreprise ou auprès des nouveaux salariés, les entreprises devraient préciser les normes qu’elles utilisent et former les salariés aux types d’écrits qu’elles utilisent à leurs exigences en matière d’écrit.
– Intégration d’une formation à l’usage des TIC dans les modules RH

2. La communication
Les salariés ont peu accès à des connaissances nouvelles sur les TIC et, parallèlement, le management ne prend pas vraiment le temps de les former aux nouveaux outils, à leur impact sur leur espace de travail ou sur l’organisation de l’entreprise. Si la formation est a minima, c’est encore plus vrai pour la communication. Il faut donc expliquer aux salariés ou aux agents les intérêts et les usages des nouveaux outils régulièrement introduits dans leur espace de travail et régulièrement échanger avec eux pour faire émerger de meilleures pratiques et limiter le mal-être au travail. Il faut également recenser les difficultés rencontrées par les salariés afin d’identifier les moyens de les résoudre.

Propositions :
– Créer un espace dédié aux évolutions des TIC au sein des supports de
communication des entreprises et des administrations : cela ne doit pas être une obligation légale mais un encouragement relayé par la branche ou le syndicat professionnel. Un espace de l’Intranet ou du journal de l’entreprise pourrait faire un point sur les Nouvelles TIC et les recommandations sur leurs usages avec un contact référent identifiable dans toutes les structures (départements pour les grandes ou PME)
– Etablir un bilan annuel au sein de chaque département, direction ou PME sur l’usage des TIC et les difficultés rencontrées. Ce bilan TIC pourrait être le pendant du bilan social qui a permis une optimisation de la gestion des ressources humaines dans les entreprises et les administrations. Ce bilan TIC serait mené par les directions RH et Systèmes d’Information.
– Auditer annuellement les usages des TIC : est-ce que cela respecte l’homme, l’intelligence…, les TIC étant un facteur de développement et de compétitivité.

3. Orienter l’usage des TIC vers la qualité du travail
Les constats ont démontré que les TIC pouvaient améliorer ou dégrader la qualité du travail, ce qui, dans ce cas, génère de la souffrance. A contrario, lorsque les TIC sont bien utilisées, le bienêtre au travail est réel. Cela reste toutefois l’apanage des cadres qui voient la capacité de développement de leur poste et de leur mission augmenter et s’améliorer. Il est donc essentiel d’avoir une approche des TIC qui permettent à toutes les catégories de salariés ou d’agents un meilleur développement de leur poste.

Propositions :
– Créer un référentiel qui permette de mesurer si les TIC ont permis une amélioration de la qualité du travail. Cela doit pouvoir se mesurer lors des entretiens annuels avec quelques indicateurs à définir. Les salariés doivent pouvoir s’exprimer : mise en place d’une vraie remontée d’informations des salariés, qui permettra le mieux disant social.
– A chaque nouveau poste créé ou chaque nouveau contrat proposé à un salarié, une dimension « télétravail » doit être incluse, afin de mieux adapter vies professionnelle et privée. Ce droit au télétravail doit s’accompagner d’un droit à la déconnexion.
– Renforcer le volet « conseil » de la médecine du travail, notamment en soumettant au management des pistes d’améliorations de la qualité du travail via les TIC.
– Favoriser les études sur les conditions de travail, les changements organisationnels et les TIC dans les services avec un développement européen de ce genre d’enquêtes afin de pouvoir mieux évaluer la situation française.
– Faciliter la mise en place de nouvelles organisations grâce aux TIC et les faire connaître. On pourra imaginer ici la diffusion par les directions du travail
d’exemples concrets d’entreprises ayant réussi à améliorer la qualité du travail grâce aux TIC. Par exemple, si l’expérimentation en cours au sein de Microsoft France s’avérait concluante, celle-ci pourrait être diffusée plus largement dans le département des Hauts-de-Seine par le biais d’une newsletter d’information éditée par la direction départementale du travail. Cela peut aller de pair avec l’ouverture d’un portail santé au travail porté par les ministères de la santé et du travail qui ait pour objectif d’atteindre un mieux disant social. Accumuler les connaissances sur ces difficultés. Le portail doit également être l’outil qui met en exergue les entreprises vertueuses où il fait bon travailler
– Permettre une adaptation des TIC à chaque entreprise et sortir d’un usage strict des technologies. Les informaticiens ou directeurs des systèmes d’information doivent pouvoir supprimer ou adapter les fonctionnalités des outils pour les rendre plus simples et mieux les adapter aux profils de leurs utilisateurs. C’est un engagement à prendre du côté des éditeurs de logiciels dans les contrats qu’ils passent avec leurs clients, quitte même à le facturer.
– Envisager un temps de respiration sociale via une politique globale d’utilisation des TIC pour désencombrer le professionnel ET le privé. Au travers des TIC : agir sur le temps de travail et sur le temps concret, cela ne pouvant également se faire qu’au cas par cas dans les entreprises et les administrations.

Malek Boualem